On peut définir, de façon générale, la ghayrat comme un sentiment d’obligation et de responsabilité qu’un individu éprouve quant à la préservation de « l’honneur » et de « la réputation » au sein de la famille ou de la communauté. Ce sentiment, majoritairement assigné aux hommes, a été dans bien des cultures interprété comme un droit de regard, voire un contrôle, sur les femmes. La nâmous, quant à elle, en tant que notion morale et sociale, renvoie le plus souvent au statut sexuel et social des femmes, statut indûment placé sous la « propriété » ou la tutelle des hommes. Ensemble, ces deux concepts façonnent un cadre dans lequel les libertés individuelles—et plus particulièrement celles des femmes—sont sacrifiées sur l’autel du contrôle familial et social.
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, ghayrat et nâmous ne sont nullement des indices de noblesse humaine ; ce sont les produits de sociétés tribales et religieuses qui ont fait de l’être humain l’instrument de survie de traditions inégalitaires. La religion, bien souvent, a joué un rôle décisif dans la consolidation de ces notions. Les religions abrahamiques—en particulier l’islam—en insistant sur la « protection de la nâmous » ou sur le « devoir des hommes de veiller sur les femmes », ont, dans les faits, réduit la femme à un objet susceptible d’appropriation. Ces enseignements, qui semblent bâtis sur des valeurs morales, ne sont en vérité que des moules destinés à contrôler et à opprimer la liberté des femmes.
Dans un tel système, la nâmous n’est pas un concept humain ; elle sert de prétexte à la légitimation de comportements inhumains—des « crimes d’honneur » aux restrictions sociales et familiales qui violent la liberté des femmes jusque dans ses expressions les plus élémentaires. En affirmant que la femme doit être soumise et dépendante, ces doctrines autorisent l’homme à se considérer comme propriétaire du corps, de la conduite et même des pensées de celle-ci. Cette vision, enracinée dans des superstitions religieuses et des traditions antiques, demeure l’une des causes majeures de tragédies humaines dans les sociétés traditionnalistes.
D’un point de vue psychologique, la ghayrat et la nâmous nourrissent moins la dignité humaine qu’elles ne deviennent sources d’anxiété, de violence et de sentiment malsain de possession. L’homme qui, au nom de la ghayrat, s’érige en responsable du comportement et des choix d’une femme—mère, sœur, épouse—est en vérité la victime d’un système de pensée pathologique qui l’empêche de comprendre son identité et celle d’autrui. Ces individus sont, le plus souvent, prisonniers d’un sentiment d’insécurité et d’une peur constante de la « déconsidération » sociale. Incapables d’accepter différences et libertés d’autrui, ils lient toute leur valeur à des jugements collectifs.
De leur côté, les femmes évoluant dans ces sociétés sombrent fréquemment dans une forme de désillusion et d’auto-culpabilisation. Au lieu d’ancrer leur identité et leur valeur dans leurs compétences et leurs choix, elles les subordonnent au regard et au jugement d’autrui. Ce type d’oppression psychique se transmet de génération en génération et entraîne la société dans un cycle de violence et de dépendance maladive.
La ghayrat et la nâmous ne sont pas seulement des notions individuelles ; ce sont des instruments sociaux mis au service de l’ordre patriarcal. Conçues pour distribuer inégalement le pouvoir entre hommes et femmes, elles définissent les premiers comme détenteurs de l’autorité, et les secondes comme des êtres subalternes et dépendants. Tradition et religion, en sacralisant ces rôles, font des femmes des prisonnières permanentes de la famille et de la communauté.
Ce schéma, profondément encastré dans les structures sociales, restreint non seulement les libertés individuelles des femmes, mais prive aussi la société de dynamisme et de justice. Une communauté où la moitié de la population se voit contrainte, du fait de son sexe, à l’obéissance et au silence, ne saurait progresser ni s’élever. Par la reproduction de la violence et de la discrimination, ce système instaure un cycle d’échec et d’inégalité qui fait obstacle au développement humain.
Les enseignements religieux et coutumiers qui sacralisent ghayrat et nâmous doivent être interrogés avec fermeté. Présentés comme des principes moraux ou des injonctions divines, ils ne sont rien d’autre que des justifications destinées à perpétuer des structures inégalitaires. Rien, ni raison ni humanité, ne peut légitimer la restriction des libertés individuelles ou l’imposition de rôles de genre. Ces notions, qui plongent leurs racines dans des superstitions et des mythes religieux, n’ont survécu que grâce à leur répétition et à l’insistance d’institutions religieuses et traditionnelles.
Nombre de ces enseignements—en particulier ceux consignés dans les textes religieux—dépeignent la femme comme un être plus faible, plus coupable et plus impur, qui requiert direction et protection. Cette pensée, répétée depuis des millénaires au nom de la religion et de la morale, doit être condamnée comme une croyance superstitieuse et antihumaine. Nulle société ne peut atteindre justice et liberté en se fondant sur cette vision.
Dans de nombreux pays, les « crimes d’honneur » incarnent l’un des usages les plus éclatants de ces notions pour opprimer les femmes. Selon les Nations unies, plus de 5 000 femmes sont tuées chaque année dans le monde au nom de l’« honneur ». Ce chiffre est particulièrement élevé dans les sociétés à culture tribale ou religieuse, où la nâmous est intensément sacralisée. Par ailleurs, une étude de 2020 indique que 70 % des femmes vivant dans des sociétés traditionnelles ont subi des restrictions sociales au nom de la ghayrat—interdictions touchant notamment au choix d’un métier ou d’un conjoint.
La seule manière de rompre ces chaînes mentales et sociales est de défendre la liberté et l’autonomie des femmes. Libérer la femme de la ghayrat et de la nâmous, c’est faire un pas vers une société plus juste et plus humaine. Des femmes libres et autonomes peuvent non seulement s’épanouir individuellement, mais aussi contribuer au développement et au progrès de la collectivité.
Une société où les femmes choisissent leur trajectoire de vie sans crainte du jugement ni de la violence est une société vivante et créative. La liberté des femmes n’est pas seulement une nécessité individuelle ; c’est un impératif social bénéfique à tous.
Il convient de noter que ghayrat et nâmous se déclinent différemment selon les cultures. Dans certains contextes occidentaux, ces notions s’accompagnent moins d’oppression et renvoient plutôt au respect de valeurs personnelles et familiales. À l’inverse, dans les sociétés traditionnelles ou religieuses, elles se traduisent davantage par le contrôle et la contrainte. Ainsi, dans les pays d’Europe du Nord, la liberté individuelle et l’égalité des droits priment, et des concepts analogues à la ghayrat et à la nâmous servent rarement de prétexte au contrôle d’autrui. Mais dans de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Asie du Sud, ces notions continuent de peser lourd dans les politiques publiques et les relations familiales.
Éducation et sensibilisation : organiser ateliers et campagnes dans écoles, universités et communautés locales pour transformer les mentalités. L’enseignement des droits des femmes et des libertés individuelles est un pas fondamental.
Révision des lois : adapter les cadres juridiques pour empêcher que ghayrat et nâmous ne servent d’alibi à la violence. Adopter et appliquer des lois strictes contre les crimes dits d’honneur et les violences domestiques est indispensable.
Rôle des médias : remettre en cause les traditions, porter la voix des victimes et favoriser l’évolution de l’opinion publique.
Renforcement des structures d’aide : créer et soutenir des organismes d’accompagnement des femmes victimes de violences liées à la ghayrat et à la nâmous afin de les aider à reconstruire leur vie.
La ghayrat et la nâmous à l’égard de la patrie—quoique similaires en apparence à la ghayrat et à la nâmous traditionnelles—diffèrent profondément par leur nature et leur finalité. L’une jaillit d’un fanatisme aveugle et d’un contrôle interpersonnel ; l’autre peut symboliser responsabilité et volonté d’élever le rang d’une nation. Il faut toutefois noter que, sans conscience et dans un cadre d’excès, l’une comme l’autre peuvent produire des effets délétères.
Comme indiqué plus haut, la ghayrat et la nâmous dirigées contre les femmes—en particulier dans les enseignements religieux—se traduisent souvent par le contrôle du corps, de la conduite et jusqu’aux pensées des femmes. Elles prennent racine dans une vision patriarcale et religieuse qui considère les femmes comme des êtres dépendants, sous la possession des hommes. Dans ce système, la femme cesse d’être une personne autonome pour devenir l’emblème de « l’honneur familial » et de la « nâmous des hommes ». Le résultat en est la contrainte, l’oppression, voire la violence, au nom de la préservation de la ghayrat et de la nâmous.
À l’inverse, la ghayrat nationale renvoie, non à la domination d’autrui, mais à un idéal collectif. L’individu y cherche à préserver et à valoriser les valeurs, l’histoire et la culture du pays. Dans sa meilleure acception, elle stimule l’effort vers le progrès et la résistance aux menaces extérieures, sans porter atteinte aux libertés individuelles.
Renforcer la responsabilité sociale : elle peut motiver chacun à assumer ses devoirs civiques et à œuvrer au développement du pays.
Sauvegarder l’identité et la culture : dans un monde où les cultures autochtones risquent l’effacement, elle peut servir d’outil de préservation du patrimoine, de la langue et des valeurs historiques.
Favoriser la cohésion : bien orientée, elle unit la société autour de valeurs communes et fortifie la solidarité.
Inspirer le progrès : nombre de grandes réalisations scientifiques, artistiques ou politiques sont nées de l’amour de la patrie et de la ghayrat nationale.
Malgré ses atouts, ce sentiment, comme toute valeur, devient dangereux s’il bascule dans l’excès :
Fanatisme aveugle : voir dans toute critique une trahison et traiter l’opposition en ennemie mène à l’atonie intellectuelle et sociale.
Racisme et xénophobie : la ghayrat nationale peut dégénérer en haine de l’autre, immorale et politiquement isolante.
Culte du passé : l’exaltation sans nuance de l’hier empêche d’embrasser les changements nécessaires, freinant la croissance du pays.
La ghayrat traditionnelle à l’égard des femmes, telle que prescrite par la religion, n’engendre que limitation et oppression. En niant l’autonomie individuelle, elle réduit les femmes à l’obéissance, sous l’empire de jugements sociaux et religieux.
La ghayrat nationale, dans son meilleur jour, peut se révéler inspirante. Elle ne vise pas à contrôler autrui, mais à coopérer, unir et œuvrer collectivement à un avenir meilleur.
Définition claire et rationnelle : l’entendre comme amour du progrès et de l’élévation du pays—non comme fanatisme à l’égard de l’histoire ni comme haine de l’étranger.
Accueillir la critique : le véritable esprit national sait recevoir les critiques, y voir une chance d’apprendre et d’avancer.
Centrer sur les valeurs humaines : la ghayrat nationale n’est constructive que si elle s’inscrit dans le respect des droits humains et de la justice sociale.
Lutter contre l’extrémisme : pour éviter les dérives, fonder le patriotisme sur la conscience et la responsabilité plutôt que sur la passion sectaire.
La ghayrat nationale et la ghayrat traditionnelle à l’égard des femmes, malgré quelques similitudes d’apparence, diffèrent radicalement par leurs fondements et leurs effets. La ghayrat traditionnelle, issue de systèmes patriarcaux et d’enseignements religieux, s’est transformée en instrument de restriction des libertés individuelles—surtout celles des femmes. La ghayrat nationale, si elle est bien pensée et correctement mise en œuvre, peut, elle, consolider l’identité collective, accroître le sens des responsabilités et stimuler l’effort vers l’excellence. Mais poussée au-delà de la raison et de la justice, elle devient, comme toute forme de fanatisme, nuisible. L’art d’un patriotisme éclairé consiste à tenir ensemble l’amour de la patrie et la sauvegarde de la liberté et de la dignité humaines.
Ghayrat et nâmous—deux notions érigées en totems moraux—ne sont, dans bien des cas, que des chaînes entravant la liberté et la dignité de l’être humain. Enracinées dans des superstitions religieuses et des traditions usées, elles doivent être mises au défi par un regard critique et sans complaisance. Une société qui justifie violence, oppression et discrimination au nom de ces concepts s’éloigne non seulement de la justice, mais aussi du progrès.
La sortie de ce cycle d’inégalités et de violences passe par la liberté des femmes et l’égalité entre les sexes. Bâtir une société plus humaine et plus juste suppose d’abandonner ces croyances limitatives au profit de valeurs fondées sur le respect de la liberté, de l’égalité et de la dignité. Puissions-nous, en reconnaissant et en acceptant ces changements, ouvrir la voie à un avenir plus lumineux et à un monde plus bienveillant pour tous, où liberté et justice deviennent accessibles à chacun—indépendamment du genre, des convictions ou de la nationalité.
Ehsan Tarinia – Luxembourg
Écrit le 10 janvier 2025