Je suis de ces amoureux. Depuis l’enfance, je cherchais mon identité dans les lignes des livres, dans la voix séculaire des poèmes, dans la majesté de l’architecture et dans la fierté de la langue persane. À seize ans, j’ignorais encore qu’une plume pouvait devenir une épée pour combattre sur le champ des idées ; je ne savais pas que les mots seraient mes soldats et le papier, la plaine infinie sur laquelle j’élèverais l’étendard de la culture iranienne. Ces années-là, sur les conseils d’un professeur—M. Kazemi, enseignant d’histoire—qui avait décelé en moi la fibre de l’écriture, je fis mes premiers pas dans le monde de la presse. D’abord, je traçais des caricatures, mais bientôt je compris que ma véritable mission était l’écriture. Dans chaque mot se cachait une fierté, une fierté qui jaillissait des profondeurs de l’Histoire de l’Iran : de Ferdowsi et de Hafez, de Saadi et de Khayyam, de ceux dont les mots devinrent l’héritage des enfants de cette terre.
Avec la première goutte d’encre répandue sur le papier, j’avais trouvé ma voie.
Depuis mon enfance, je n’étais guère doué pour la parole, mais j’avais un talent instinctif pour l’écriture, pour ériger des forteresses de mots. Lorsque la plume se posait entre mes doigts, je n’étais plus limité à mon corps de chair ; je m’élevais, je déployais mes ailes parmi les mots, je reconstruisais ma patrie sur l’immense étendue de la pensée. En ce temps-là, je dessinais des caricatures : j’y glissais l’ironie, je cachais la vérité dans des lignes simples mais pénétrantes. Peu à peu, je compris que l’écriture était la seule voie pour crier ce qui brûlait en moi. Mes mots prirent vie, mes articles se formèrent, et ma plume s’orienta vers un but plus grand. Je n’écrivais plus pour le loisir, je n’écrivais plus seulement pour exprimer mes sentiments : ma plume devint une arme entre mes mains, un outil pour défendre ce qui fait de l’Iran, l’Iran : sa culture, sa langue, son identité.
J’appris alors que le journalisme et l’écriture ne sont pas seulement un métier, mais une insurrection. Une insurrection contre l’oubli, contre la falsification, contre le déni de l’identité. Et moi, sans le savoir, j’avais emprunté une voie dont on ne revient pas.
Mais cet amour, cette mission, ne m’ont pas protégé du destin de mon peuple. Les vents de l’exil, les tempêtes d’un départ imposé, m’ont arraché à ma terre natale. J’ai dû quitter le sol de ma patrie avec mon corps privé d’âme, mais mes racines sont restées plantées dans ce sol, et jamais la terre n’a quitté mon cœur. Dans un pays dont la langue m’était étrangère, dans une contrée qui ne comprenait pas mes mots mais percevait mes idéaux, je me suis relevé.
Comment aurais-je pu céder ? Comment aurais-je pu abandonner ma culture, ma langue, mon honneur ?
Les années ont passé, le destin m’a éloigné de ma patrie, mais l’amour de l’Iran est resté, comme un feu inextinguible, brûlant dans mon cœur. Dans une terre étrangère, parmi des hommes qui ne parlaient pas ma langue mais pouvaient ressentir ma ferveur dans mes écrits, je décidai de maintenir vivant l’appel de la culture persane. Je fondai une association appelée SIMOURQ, qui n’était pas seulement une institution, mais une citadelle contre l’oubli, une forteresse pour préserver la langue, l’Histoire et la pensée de mes ancêtres. Là, au cœur d’un pays accueillant pour les étrangers mais jamais confondu avec eux, je fis vivre la culture persane. Mais non sans douleurs, non sans attaques, non sans blessures.
Les ennemis étaient nombreux. Ceux qui ne pouvaient concevoir qu’un amour pour une patrie, qu’un amour pour une culture, puisse être si puissant qu’il demeure, sans profit, sans dépendance, aussi durable.
Ils calomnièrent. Ils doutèrent. Ils affirmèrent qu’une telle persévérance, sur tant d’années, ne pouvait être gratuite. Ils me marquèrent du sceau de la dépendance, de soutiens secrets, de ce qu’eux-mêmes étaient incapables d’imaginer : que l’amour, la foi, la conviction, puissent avoir une telle force.
Mais je continuai, non pour eux, mais pour moi, pour cette terre en moi, pour cette langue qui a façonné mon âme, pour écrire, pour penser, pour savoir que j’étais encore vivant.
Je compris vite que ce à quoi je tenais allait au-delà d’une association. Le Simourq, cet oiseau mythologique, m’avait pris dans ses ailes, comme un amant incapable de se séparer de sa bien-aimée. Je compris qu’il était temps de faire surgir des cendres du passé le rêve que j’avais façonné et de le transformer en vérité.
Alors je me suis levé ! Non plus sous la forme d’une simple association, non plus comme une activité bénévole, mais dans la grandeur d’une institution indépendante fondée sur trois piliers : l’impression, l’édition et la presse. Je n’avais plus besoin de heurter le mur de l’indifférence pour maintenir mon idéal en vie ; désormais, je tenais mon propre Simourq entre mes mains !
Oui, le Simourq de mon être ! Cet oiseau éternel de l’Iran, phénix renaissant de ses cendres. Je décidai qu’il ne resterait pas limité à une association sans but lucratif. J’ai tiré Simourq du feu, non comme un nom, mais comme une vérité nouvelle !
J’ai bâti mon imprimerie, fondé ma maison d’édition, donné naissance à un média multilingue qui résonne de mon idéal. Désormais, je grave le nom et la culture de l’Iran non seulement sur les pages de papier, mais sur les colonnes d’un édifice solide.
Je ne veux plus combattre seulement dans l’ombre, mais brandir un drapeau, porter un nom au grand jour, immortaliser l’Iran au cœur de la culture universelle.
Aujourd’hui, je me tiens au sommet de mes rêves.
Aujourd’hui, en contemplant mon passé, je vois le chemin parcouru, je sens les blessures subies, mais la fierté qui embrase mon cœur ne peut être éteinte.
Aujourd’hui, je ne suis pas un simple individu ; aujourd’hui, je suis l’héritier de cette pensée qui mena Cyrus le Grand à la liberté, qui inspira Ferdowsi à écrire le Shahnameh, qui fit crier Khayyam, qui porta Sohrawardi à la sagesse.
Aujourd’hui, j’ai mon propre Simourq.
Aujourd’hui, je suis un Iranien, qui ne craint ni l’exil, ni les assauts, ni les attaques, ni les calomnies.
Aujourd’hui, je possède mon Simourq, j’ai mon imprimerie, ma maison d’édition, mon média. Et peut-être suis-je le seul homme à vivre dans ses rêves réalisés.
Et maintenant, porté par mon Simourq éternel, je vole dans l’espace infini de la pensée, et je crie :
« Je suis Iranien, je suis l’enfant de cette terre, l’héritier de cette culture, et tant que la vie habitera mon corps, ma plume, mon média, mon édition, mon héritage défendront la grandeur et la splendeur de l’Iran ! »
Ehsan Tarinia – Luxembourg
Écrit le 21 février 2025