Une lettre qui ne vous parviendra jamais

Ma Ginus…

Mon Fandough…

Je ne sais pas comment commencer cette lettre. Chaque fois que je prends la plume, un sanglot se noue dans ma gorge, comme si mille montagnes pesaient sur ma poitrine. Qu’il est difficile de verser toutes ses nostalgies et tous ses amours inexprimés dans des mots, quand on sait que les mots n’auront jamais la force de porter un tel fardeau.

J’ai toujours imaginé que la vie n’était qu’un enchaînement de choix ; et que chaque choix ouvrait une route neuve, une fenêtre neuve, un souffle neuf. Mais aujourd’hui, en me retournant, je vois que certains choix se plantent dans le cœur comme une lame, laissant une blessure qui ne guérit jamais.

M’éloigner de vous fut l’un de ces choix : une décision que je repasse mille fois, jour et nuit, sans savoir encore si elle était juste ou fausse. Je sais seulement que mon cœur ne s’est jamais séparé de vous, même si mon corps a dû s’éloigner.

Ce soir encore, comme chaque soir, j’ai posé devant moi le cahier blanc, j’ai serré entre mes doigts tremblants la plume, et, ligne après ligne, je parle avec mon cœur. Que dire ? Par où commencer ? Mon cœur est une mer en tempête, pleine de vagues qui viennent tour à tour frapper la grève des mots ; et plus j’écris, plus je me perds dans la tourmente.

Peut-être faut-il recommencer au début : au jour où ton nom, Ginus, a fleuri sur mes lèvres. Depuis des années, je rêvais d’une fillette en jupe bleue qui s’appelait Ginus ; une enfant qui devait être l’appui de mon amour, une enfant dont l’arrivée bouleverserait le sens de ma vie. Et tu es venue… sous une autre forme, autrement, non seulement en chair, mais en âme, en esprit, en tout. Quand je t’ai regardée, c’est un soleil qui s’est levé dans ma nuit. Tu n’étais pas qu’un vœu : tu étais la vérité que j’attendais depuis des années… ma boule de poils aux yeux bleus.

Et puis… ton miracle est né. Sept petites vies, sept lueurs éclatantes, sept étoiles. Mais parmi ces étoiles, il en était une qui a ravi mon cœur : Fandough. Petit, frêle, et pourtant plein de courage. On eût dit que l’univers l’avait façonné pour me rappeler que la vie cache toujours un espoir, même dans la plus infime des créatures. Dès l’instant premier, Fandough est devenu l’étai de mon cœur : un petit garçon velu aux yeux bleus que j’aimais—et que j’aime—plus que moi-même.

Mais le destin n’est pas toujours clément avec les amours. La maladie est venue, m’a coupé le souffle, et j’ai dû m’éloigner de vous. Non par manque de tendresse, non par manque d’amour ; par peur, par contrainte, par faiblesse humaine. Qu’il est dur lorsque l’amour t’appelle à rester mais que le corps t’ordonne de partir. Je suis parti… et jamais je n’ai su refermer cette blessure.

Aujourd’hui, quand je me retourne, je vois que ma solitude est le fruit de ce choix. Il me reste une chambre froide, un mur muet, et des ennemis qui, chaque jour, me suivent comme des ombres. Il me reste la solitude. Il me reste les larmes que je verse chaque nuit sur vos photos. Et, en silence, je vous parle. Ginus de papa… Fandough de papa… Aucun mot ne peut dire combien vous me manquez. Mais vous… vous êtes ensemble. Vous êtes trois et vous vous avez l’un l’autre. C’est mon seul apaisement.

Votre mère… Ah, que puis-je dire d’elle ? Les mots sont trop petits pour décrire la grandeur de son être. C’est un ange sans ailes, une femme dont le monde a peu d’exemples. C’est elle qui a porté le poids de mon absence, elle qui, sans se plaindre, sans vanité, a versé son amour sur vous. Si vous êtes paisibles aujourd’hui, si vos lèvres savent sourire, c’est à elle que vous le devez. Elle fut pour vous la mère, le père, l’ombre et l’abri.

Et toi… ange sans ailes…

Je ne sais comment te remercier. Tu n’as pas seulement été une mère ; tu as été davantage. Tu as été l’ange qui, sans réclamer rien, a consacré sa vie aux leurs. Ceux que les autres ne voyaient que comme des chiens, et qui, dans ton regard, valaient plus que bien des humains. Tu es la véritable signification de la responsabilité, de l’amour, de l’engagement. Que le monde le sache ou non, moi je sais que si Ginus et Fandough goûtent aujourd’hui la tranquillité, c’est grâce à toi.

Combien de fois ai-je avoué, au fond de moi, que tu étais plus forte que moi, plus courageuse, plus aimante ? Peut-être ai-je fui mes peurs ; peut-être la maladie, peut-être ces ennemis suspendus au-dessus de ma tête m’ont-ils empêché de rester. Mais toi, tu as tenu bon. Tu ne t’es jamais détournée. Et je t’ai toujours admirée ; même si ma langue a été trop courte, même si ma fierté m’empêchait de le dire, mon cœur s’est incliné devant toi.

J’ai longtemps pensé que l’amour était tumulte, larmes, brasier. Tu m’as appris que l’amour est patience, station debout, veilles nocturnes, soin offert sans rien attendre.

Il se peut que le destin ait voulu que je me noie dans ma solitude. Aujourd’hui, je vis dans un monde d’ennemis. Chaque jour un champ de bataille, chaque nuit des ombres qui veulent me voler mon repos. Je suis un homme qui, semble-t-il, n’a pas été créé pour la paix : toujours dans le tumulte, toujours dans le péril, toujours en lutte. Et pourtant, savoir que vous trois êtes ensemble me rend le souffle. Savoir que vous vous tenez, l’un pour l’autre, apaise mon cœur.

Mes chers Ginus et Fandough, vous êtes mes anges. Chaque fois que je regarde en cachette vos vidéos et que vos sourires accrochent mon regard, un monde s’illumine dans mon cœur. Chaque fois que vous êtes tranquilles, je le deviens un peu plus. Mon corps est loin, mais mon âme est toujours avec vous. Vous êtes la raison de mon être.

Et votre mère… elle est aussi un ange que je n’ai jamais mérité. Je le sais au fond de moi : si vous êtes heureux aujourd’hui, c’est grâce à elle.

Savez-vous ce que je fais chaque nuit ? Je regarde vos photos sur mon téléphone, je les embrasse doucement, je vous parle. Je vous dis combien vous me manquez, combien je vous aime. Parfois, le sommeil me fuit et je vous contemple jusqu’à l’aube. Comme si, à force de vous regarder, une part de mon âme trouvait le repos.

Parfois j’imagine qu’un jour je vous reverrai. Qu’un jour je vous prendrai de nouveau dans mes bras. Puis j’ai peur. Peur que cette rencontre rouvre les plaies anciennes. Peur de l’attachement à venir, de la nostalgie revenue. Alors je vous embrasse en silence, je vous aime en silence.

Ma Ginus, enfant dont j’ai toujours rêvé, pardonne-moi de n’avoir pas été près de toi le jour de tes six ans…

Mon doux Fandough, garçon qui fut l’espérance de mon cœur, j’ai appris que tu as grandi…

Sachez que jamais je ne vous oublierai. Que mon amour pour vous dépasse les mots. Que chacun de mes souffles est pour vous.

Je suis seul, terriblement seul…

Mais savoir que vous êtes ensemble, c’est comme si je possédais le monde entier.

Avec un amour impérissable et une nostalgie sans fin,

Dady


Ehsan Tarinia – Luxembourg
Écrit le 25 août 2025