Rédigée par Ehsan Tarinia pour lecture au rassemblement du 9 octobre 2022 et pour transmission aux autorités luxembourgeoises
La situation économique désastreuse, l’absence des libertés sociales les plus élémentaires, la destruction de l’environnement, la corruption systémique, l’hypertrophie sécuritaire et policière, l’appauvrissement massif, le monopole médiatique, la répression des minorités ethniques et religieuses, l’inaccomplissement des revendications nationales et culturelles, la militarisation de l’État, une politique régionale agressive, l’ingérence dans les affaires des voisins, l’explosion des exécutions et des emprisonnements, les crises diplomatiques répétées et la menace paramilitaire contre les pays voisins : tout cela caractérise le pouvoir islamiste, en particulier sous le règne absolu de Khamenei.
Si l’étincelle actuelle fut le meurtre d’État de Mahsa Amini, les slogans ont rapidement dépassé cette tragédie pour viser un changement de régime. Certains réduisent ce soulèvement à la seule question du voile et aux droits des femmes, accusant les manifestants de vouloir promouvoir « l’immoralité ». Or le « voile obligatoire » et l’oppression spécifique des femmes sont certes des causes majeures, et la présence centrale des femmes est la marque la plus forte de ce mouvement. Mais c’est l’accumulation de crises et l’incapacité structurelle du régime à satisfaire ne serait-ce qu’une fraction des demandes populaires qui constituent la raison profonde de la révolte. La question du voile renvoie à la liberté individuelle et civique ; des millions de vidéos montrent d’ailleurs des femmes voilées et non voilées manifestant côte à côte. Prétendre que le mouvement vise la « dérégulation morale » est une propagande grossière d’un système en décomposition, destinée à attiser des réflexes religieux.
Face au soulèvement en Iran, il revient à chacune et chacun d’entre nous, Iraniens de la diaspora, de porter la voix du peuple malgré les coupures d’Internet – une preuve supplémentaire de la nature tyrannique du régime. L’heure n’est ni à la neutralité ni au calcul personnel. Un pouvoir qui s’arroge le droit d’intervenir de l’intime jusqu’au politique – du foyer au bulletin de vote – porte l’entière responsabilité du désastre actuel. Participer au processus révolutionnaire, c’est œuvrer au changement dans toutes ces sphères. Les acteurs civils et sociaux critiques du statu quo, mais qui redoutent de redevenir spectateurs, doivent s’engager pleinement pour ne pas être relégués à l’état d’objets du changement. L’Histoire n’attend personne : plus la mobilisation est large, plus la phase révolutionnaire sera courte et moins coûteuse en vies humaines.
Rappelons que la ligne de fracture centrale, aujourd’hui, est le maintien du système contre sa transformation ; et, politiquement, la dictature contre la démocratie. Sans résoudre ces deux contradictions, nulle revendication ne pourra aboutir. En période révolutionnaire, individus et groupes sont soit des agents du changement, soit de simples objets du changement.
Manifestations, emprisonnements, exils – depuis des décennies, les sacrifices n’ont visé qu’une chose : l’amélioration de la condition politique, sociale et économique. À présent que la situation bascule, le silence équivaut à l’acceptation du statu quo et sert le jeu de l’autocratie.
Le point de force du régime demeure l’absence d’une alternative immédiatement opérationnelle capable de se substituer au pouvoir en mobilisant la population. Faute d’une opposition unie, les élans héroïques du peuple sont tour à tour écrasés, allongeant l’agonie d’un système moribond et le prix payé par les Iraniens. Cet appel s’adresse particulièrement à l’opposition en exil : à l’intérieur du pays, les voix dissidentes sont emprisonnées, assignées, assassinées ou menacées de mort.
Quatre décennies de République islamique, avec leur cortège de catastrophes, suffisent à démontrer l’urgence d’y mettre fin et d’empêcher, dans l’Iran d’après, toute ingérence de la religion et de l’idéologie dans l’État. Ce régime est non seulement contraire aux intérêts nationaux de l’Iran, mais aussi une menace pour l’humanité, les droits fondamentaux et la paix régionale et mondiale. Chaque jour supplémentaire ne fait qu’alourdir son bilan sanglant.
Le peuple n’attend plus de réformes. Il exige la dissolution du régime et son remplacement par un gouvernement démocratique et libre, où tous les Iraniens – quelles que soient leurs opinions politiques, croyances, cultures, ethnies et originités nationales – vivront sous l’égide de la loi, dans l’égalité des droits, et contribueront à la prospérité du pays.
Les Iraniens de l’étranger jouent un rôle majeur : mobilisations publiques, information des sociétés d’accueil et de l’opinion internationale. Le soutien du monde à la lutte pour la liberté en Iran est déterminant ; la diaspora doit maintenir et amplifier sa présence.
Les forces d’opposition en exil doivent se souvenir qu’elles agissent hors du pays. Le conflit entre elles, dans un tel contexte, est vain et ne profite qu’au régime. Leur dénominateur commun est clair : obtenir la dissolution de la République islamique et l’instauration d’un État démocratique. Les divergences idéologiques et partisanes doivent être mises entre parenthèses jusqu’au retour de la liberté ; la compétition politique légitime reprendra après la transition, dans les urnes, pour des sièges au Parlement et la formation d’un gouvernement.
Aujourd’hui, le devoir de toutes les forces d’opposition et des personnalités politiques iraniennes est l’unité, la reconnaissance réciproque et le respect mutuel, afin d’atteindre l’objectif commun : la liberté de l’Iran.
Reconnaître que la République islamique d’Iran, régime dictatorial usé, n’est le choix d’aucun Iranien, ni à l’intérieur ni à l’étranger.
Accroître la pression politique et économique du Luxembourg et de l’UE : sanctionner toutes les institutions civiles et militaires du régime.
Refuser tout accord nucléaire ou compromis dicté par la seule pénurie énergétique : ce serait signer un texte dont l’encre est le sang des Iraniens.
Mettre fin aux ingérences régionales du régime, qui utilise l’insécurité au Moyen-Orient, la vente d’armes et les contournements de sanctions ; couper sa mainmise sur la région.
Rappeler que le peuple iranien veut des relations amicales et diplomatiques avec le monde ; l’hostilité envers Israël, les États-Unis ou le Royaume-Uni relève du pouvoir, non du peuple.
Considérer la République islamique comme une menace nucléaire potentielle pour la région et le monde.
Condamner la proximité stratégique du régime avec la dictature de Vladimir Poutine.
Reconnaître le danger réel de reconstitution d’un califat islamiste de type Daech sous l’égide de Téhéran.
Demander l’ouverture d’une enquête internationale indépendante sur l’assassinat de Mahsa Amini et sur les morts lors des mouvements de protestation passés et présents.
Constater qu’une guerre asymétrique se déroule en Iran : un peuple désarmé face à des forces équipées d’armement de guerre.
Reconnaître l’anachronisme d’un régime théocratique gouvernant encore selon des schémas d’il y a 1400 ans.
Dénoncer la mort en détention et la persécution des opposants politiques et militants civils pour simple délit d’opinion.
Constater la négation des droits civiques des minorités religieuses et la violence quotidienne qu’elles subissent.
Dénoncer la criminalisation des minorités sexuelles, privées du droit élémentaire à l’autodétermination corporelle, et l’usage de la peine capitale à leur encontre.
Dénoncer la misogynie structurelle : en Iran, être femme signifie être privée du droit de choix (vêtements, mariage, actes administratifs, etc.).
Rouvrir et instruire les dossiers d’agents du régime se présentant comme réfugiés politiques au Luxembourg et œuvrant à diviser l’opposition.
Suspendre toute relation commerciale avec le régime et exercer une pression maximale sur ses dirigeants.
Demander la création d’un tribunal impartial pour juger Ali Khamenei, Ebrahim Raïssi et les responsables des crimes et exécutions commis en 44 ans.
Apporter un soutien politique et diplomatique explicite aux manifestants en Iran.
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Rédigé le 7 octobre 2022
Ehsan Tarinia – Luxembourg