À la suite de la mort d’Arman Alivardi, séminariste bassidji présent parmi les forces de répression de la République islamique lors des manifestations « Femme, Vie, Liberté » dans la cité Ekbatan à Téhéran, la 13e chambre du tribunal pénal n°1 de Téhéran a prononcé la peine de mort contre six accusés de ce dossier.
Le 23 novembre 2024, Babak Paknia, avocat chargé de la défense de certains de ces accusés, a annoncé sur son compte du réseau social X que Milad Armon, Alireza Kafaï, Amirmohammad Khosheghbal, Navid Najaran, Hossein Ne’mati et Alireza Barmarzpornak avaient été condamnés au qisas al-nafs (peine capitale). L’avocat a précisé que le président de la chambre s’était opposé à ce verdict et avait émis un avis minoritaire. Il a également souligné que le jugement restait susceptible d’appel.
Arman Alivardi, séminariste de 21 ans, membre de la milice du Bassidj et des forces antiémeutes de la République islamique, fut blessé le 26 octobre 2022 lors des manifestations dans la cité Ekbatan de Téhéran. Repéré ensuite par les forces de sécurité, il fut transféré à l’hôpital Baghiatollah, où il succomba deux jours plus tard.
Les médias d’État, tels que les agences Tasnim et Fars, le présentèrent comme élève du séminaire de l’ayatollah Mojtahedi, membre de l’unité sécuritaire « Imam Reza » et habitant du quartier de Shahran à Téhéran.
À la suite de son décès, l’appareil de propagande du régime s’activa immédiatement, publiant des dizaines de rapports, articles et ouvrages pour en faire une figure emblématique. Des heures d’émissions télévisées furent produites en son honneur. Cette propagande prépara en quelque sorte le terrain pour les décisions ultérieures, qui conduisirent à la condamnation à mort de six accusés.
La peine capitale prononcée contre six accusés fut rendue alors que deux nouveaux assesseurs remplacèrent, au dernier stade du procès, ceux qui siégeaient jusque-là, et décidèrent – contrairement à l’opinion du président de la chambre – de prononcer le qisas al-nafs. Ce changement dans la composition des juges suscita de vives réactions.
Mohammad Hossein Aghassi, avocat de Milad Armon, déclara à ce propos :
« Le remplacement des assesseurs au dernier stade d’un procès est une mesure inhabituelle. Les personnes appelées à statuer sur une affaire de cette importance doivent être présentes dès la première audience. Que ce changement intervienne seulement pour le verdict final affecte le cours de la justice et soulève de sérieuses interrogations. »
L’affaire des « enfants d’Ekbatan » et la condamnation à mort de ces six jeunes a non seulement mis en lumière les interrogations concernant la procédure judiciaire et l’indépendance du pouvoir judiciaire de la République islamique, mais aussi provoqué de larges réactions juridiques et sociales, tant en Iran qu’à l’étranger.
Dans ce dossier, la substitution des assesseurs à la phase finale, et leur décision contraire à celle du président de la chambre, ont accru les zones d’ombre. Les avocats et familles des accusés affirment que le procès s’est déroulé sous pressions politiques, loin des principes de justice. La peine capitale, parmi les châtiments les plus extrêmes, a transformé cette affaire en un exemple flagrant de l’utilisation instrumentale du système judiciaire par le régime.
Le dossier demeure ouvert et les recours déposés par les avocats pourraient lui donner de nouvelles dimensions.
Après la mort d’Arman Alivardi, les forces de sécurité arrêtèrent plus de 50 jeunes habitants de la cité Ekbatan. Beaucoup furent relâchés après non-lieu pour absence de preuves, mais le parquet criminel et sécuritaire de Téhéran retint des charges contre 14 d’entre eux, telles que « moharebeh » (guerre contre Dieu), « participation à un meurtre volontaire », « propagande contre le régime », « trouble à l’ordre public » et « coups et blessures volontaires ».
Le parquet émit ensuite un acte d’accusation initial et transmit le dossier au tribunal pénal.
Selon l’acte d’accusation du 6e bureau d’instruction du parquet criminel de Téhéran :
Milad Armon, Mohammad Mehdi Hosseini et Mehdi Imani furent accusés de moharebeh et poursuivis séparément pour « participation à un meurtre volontaire ».
Alireza Kafaï, Hossein Ne’mati, Amirmohammad Khosheghbal, Alireza Barmarzpornak et Navid Najaran furent inculpés de « participation à un meurtre volontaire », « trouble à l’ordre et à la tranquillité publics » et « coups et blessures volontaires ».
Des sources de défense des droits humains ont rapporté que les preuves reposaient essentiellement sur des « aveux forcés » et des « confessions arrachées sous la torture », dirigées contre soi-même ou contre d’autres accusés.
Deux ans après l’ouverture de l’affaire, les audiences finales de la défense des accusés eurent lieu les 2 et 3 novembre 2024. C’est à ce moment que survinrent des évolutions inattendues :
Payam Derafshan, avocat de Hossein Ne’mati, déclara que malgré la tenue de la dernière audience et la décision de libération sous caution de Ne’mati et de trois autres accusés, leur statut changea soudainement en détention provisoire et ils furent transférés à la prison de Karaj.
Il précisa qu’aucune nouvelle accusation ne leur avait été notifiée et que les raisons de ce revirement restaient obscures. Il insista sur le fait que les deux nouveaux assesseurs n’avaient pas assisté aux audiences précédentes et que la défense n’avait pas pu s’entretenir avec eux.
Babak Paknia, autre avocat de la défense, confirma que les deux assesseurs n’avaient participé qu’à la dernière audience, alors que le président de la chambre et les assesseurs initiaux avaient suivi toutes les séances et étudié les quinze volumes du dossier. Selon lui, ce remplacement et la décision finale allaient à l’encontre de la pratique judiciaire normale.
Mohammad Hossein Aghassi, avocat de Milad Armon, déclara :
« Le verdict des assesseurs est totalement contraire à l’avis du président de la chambre. Cette affaire, d’une gravité extrême, avait été examinée depuis le début avec d’autres assesseurs. Le remplacement à la dernière étape, sans connaissance suffisante du dossier, a conduit à un jugement contraire aux principes de justice. »
Il ajouta :
« La transformation de la libération sous caution en détention provisoire pour plusieurs accusés contredisait également l’avis explicite du président du tribunal. Ces décisions ont été influencées par des pressions extérieures et ont provoqué de graves irrégularités. »
Aghassi conclut avec fermeté :
« Pour la première fois de toute ma carrière, je peux affirmer avec certitude que le verdict des assesseurs est erroné. La Cour suprême annulera sans aucun doute cette décision. »
Selon le jugement rendu, Asghar Khalili, président de la 13e chambre du tribunal pénal n°1 de Téhéran, exprima un avis divergent par rapport aux nouveaux assesseurs. Après deux années d’examen, il souligna l’absence de preuves suffisantes établissant la responsabilité des accusés dans la mort d’Arman Alivardi.
Dans son jugement, il précisa :
« Hormis les aveux des accusés, aucun document ne prouve leur implication dans la mort d’Arman Alivardi. »
Il ajouta : « L’existence de blessures mortelles imputables aux accusés demeure entourée de doute et de suspicion sérieuse. » D’autres indices ne permettaient pas non plus d’attribuer le coup fatal à l’un des accusés.
Il conclut que, même si certains comportements pouvaient être retenus, l’auteur direct n’était pas identifiable. Il proposa donc, au titre de l’article 479 du Code pénal islamique, que les accusés soient solidairement condamnés au paiement du diyé (prix du sang) de la victime.
Le juge, considérant « la nature de l’infraction et l’étendue du manquement au devoir », condamna les accusés à cinq ans de prison au titre de l’article 612 du Code des peines de dissuasion et de prévention.
Dans le même jugement, le juge estima qu’en ce qui concerne Hossein Ne’mati, Alireza Barmarzpornak et Navid Najaran, il n’existait pas de preuves claires établissant leur participation à des coups mortels. Sur la base de l’article 120 du Code pénal islamique et de l’article 4 du Code de procédure pénale, il proposa leur acquittement des charges retenues.
Le juge Khalili précisa également :
Les aveux recueillis par la police et non devant le juge ne peuvent, à eux seuls, fonder une condamnation. Ils doivent être corroborés par d’autres éléments de preuve.
Les aveux d’un accusé à l’encontre d’autres n’ont pas de valeur juridique. Une confession ne vaut que contre celui qui l’a faite et ne peut être étendue aux coaccusés.
Parallèlement, certaines organisations de défense des droits humains et militants civils avaient déjà alerté sur le risque élevé de condamnations à mort dans cette affaire, fondées sur des preuves fragiles et des confessions extorquées sous la torture. Des rapports faisaient état de mauvais traitements et de pressions exercées sur les accusés pour obtenir des aveux contre eux-mêmes ou leurs coaccusés.
Jusqu’à présent, la République islamique a exécuté neuf personnes en lien avec ces manifestations, parmi lesquelles :
Mohammad Mehdi Karami
Mohammad Ghobadlou
Mohsen Shekari
Majidreza Rahnavard
Mohammad Hosseini
Saleh Mirhashemi
Saeed Yaghoubi
Majid Kazemi
Milad Zohrevand
Ce précédent nourrit les craintes quant à une possible confirmation et exécution des peines de mort prononcées contre les accusés dans l’affaire d’Ekbatan.
Le dossier des « enfants d’Ekbatan » illustre l’état critique des droits humains en Iran : aveux extorqués sous la torture, revirements soudains dans la procédure, et des vies suspendues aux aléas d’une justice instrumentalisée. Au vu de l’ampleur des protestations suscitées par cette affaire, on s’attend à ce que la communauté internationale et les organisations de défense des droits humains accentuent leur pression en faveur d’un procès équitable.
En définitive, cette affaire met en lumière les défaillances majeures du système judiciaire iranien et la logique sécuritaire appliquée aux manifestants — des dynamiques dont l’onde de choc marque déjà la société et l’avenir politique du pays.
L’affaire des « enfants d’Ekbatan » est l’emblème d’une violation systématique des droits humains en Iran. Selon de nombreux rapports, les aveux des accusés ont été obtenus sous la torture et la pression psychologique, puis utilisés comme seules pièces probantes. Lors de leur garde à vue, beaucoup ont été privés de droits fondamentaux : accès à un avocat indépendant, conseil juridique, droit au silence.
Plusieurs avocats, dont Babak Paknia et Mohammad Hossein Aghassi, insistent sur le caractère infondé du dossier, faute d’éléments matériels. S’y ajoute le remplacement des assesseurs à l’ultime étape et le prononcé de peines capitales sans audition complète des défenses ni étude exhaustive du dossier : un déni manifeste de justice.
Le régime a fait de dossiers analogues à celui d’Ekbatan un outil politique de répression, destiné à intimider la population. L’appareil de propagande a construit autour du décès d’Arman Alivardi une figure victimaire des forces de répression, exploitée à des fins de légitimation.
La couverture médiatique massive par les organes d’État et la production d’émissions et de documentaires sur Alivardi montrent que l’affaire a été délibérément façonnée comme un symbole pour justifier la répression des manifestations et l’usage de la force.
La procédure a manqué d’éléments indépendants et crédibles. D’après l’ordonnance du juge Asghar Khalili, président de la 13e chambre du tribunal pénal, aucune preuve matérielle n’établit la participation des accusés au meurtre d’Alivardi. Le juge souligne que des aveux arrachés sous la torture ne sauraient servir à eux seuls de fondement à une condamnation.
Ce déficit probatoire soulève de graves questions sur le déroulement du procès et la compétence des juges impliqués. Le recours exclusif aux confessions — en contexte de contrainte — viole ouvertement le droit international et les principes d’un procès équitable.
Malgré l’importance de ce dossier comme exemple de violation des droits humains, l’attention internationale demeure limitée. États et organisations n’ont, jusqu’ici, pris aucune mesure efficace pour enrayer l’exécution des peines capitales.
Or, si la République islamique a déjà reculé sous pression internationale dans certains cas, l’absence de coordination et d’actions résolues risque, ici, de priver les accusés d’une chance de survie.
Le titre de séjour luxembourgeois d’Alireza Kafaï offre une opportunité diplomatique singulière. Le Luxembourg peut s’en prévaloir pour accroître la pression internationale sur la République islamique et réclamer la suspension immédiate des exécutions.
Souligner qu’Alireza Kafaï est le seul accusé disposant d’un statut de résidence à l’étranger confère au dossier une dimension internationale et appelle une mobilisation urgente.
»»» Pour le détail des rencontres avec des responsables du ministère luxembourgeois des Affaires étrangères, voir l’article : D’Ekbatan au Luxembourg : récit d’une quête de justice et de ses défis juridiques.
L’Iran a un long passif de prises d’otages et d’exploitation de binationaux ou d’étrangers à des fins politiques et financières. Les cas de Nazanin Zaghari, Anoosheh Ashoori ou de détenus américains en sont des exemples : la détention sert d’instrument de marchandage pour obtenir des concessions.
L’un des épisodes les plus controversés fut la libération du diplomate-terroriste Assadollah Assadi, condamné en Belgique pour un projet d’attentat en France : il fut relâché en échange de l’humanitaire belge Olivier Vandecasteele, détenu en Iran sur des accusations fabriquées. Cette opération, largement dénoncée comme une transaction d’otage, a envoyé au régime le signal qu’il peut, par l’arrestation d’étrangers, obtenir la libération même de terroristes condamnés.
Autre exemple : l’arrestation en Suède de Hamid Nouri, magistrat iranien impliqué dans les exécutions massives de 1988, a suscité des représailles : Téhéran a arrêté des ressortissants à double nationalité et orchestré des campagnes de pression pour obtenir sa libération.
Dans cette logique, l’affaire des « enfants d’Ekbatan », et en particulier le cas d’Alireza Kafaï, pourrait être exploitée. Son statut au Luxembourg offre au régime un levier de pression sur le Luxembourg et la Belgique pour d’éventuels marchandages. Ainsi, la rumeur — relayée par des médias pro-régime — d’un déblocage de 1,7 milliard de dollars de fonds iraniens au Luxembourg l’an dernier, concomitant avec la libération sous caution de ces jeunes et les spéculations autour de l’arrestation de Kafaï, demeure sans réponse claire.
Face à ce passif, la communauté internationale doit condamner fermement ces pratiques et exiger qu’elles cessent. Tout silence ou engagement sans reddition de comptes ne ferait qu’encourager cette stratégie.
Hélas, au sein de la diaspora iranienne au Luxembourg, on ne voit pas d’effort sérieux pour sauver la vie d’Alireza Kafaï et des cinq autres accusés. Pire, certains, en colportant rumeurs et attaques personnelles contre Kafaï, servent — consciemment ou non — les objectifs du régime. Cette attitude révèle non seulement un manque de solidarité, mais aussi une indifférence douloureuse au sort de jeunes condamnés à mort pour avoir réclamé des droits fondamentaux.
Que des proches de ces condamnés, à l’étranger, aient gardé le silence médiatique pour des raisons personnelles, familiales ou diplomatiques, n’excuse en rien l’inaction des autres. Le mutisme d’une partie des Iraniens du Luxembourg, joint parfois à la diffusion de calomnies, met à nu la profondeur de la crise humaine et morale. Que Kafaï ait eu tel différend avec un ancien employeur, qu’il soit rentré en Iran, ou qu’il ait déménagé du Luxembourg vers la Belgique : rien de tout cela ne justifie qu’on abaisse sa dignité ni qu’on se taise devant une condamnation à mort.
Je n’ai, personnellement, aucun lien avec Alireza Kafaï. Mais je sais que son statut au Luxembourg constitue une fenêtre diplomatique unique pour exercer des pressions et réclamer l’arrêt des exécutions de ces six jeunes.
Ces rumeurs et cette indifférence ne s’arrêtent pas à ce dossier. Souvenons-nous : au moment du meurtre de Mahsa Amini et de l’essor du soulèvement, certains individus à Luxembourg — tout en se prétendant opposants — ont attaqué le mémorial de Mahsa, injurié et entravé des défenseurs des droits humains. Ces « exportations de nervis » du régime continuent de sévir librement, harcelant les opposants.
Qu’une communauté ayant connu l’exil et la migration méprise ainsi les valeurs humaines élémentaires — au point de détruire des efforts de sauvetage pour des motifs mesquins — est navrant. La vie humaine est-elle devenue si peu de chose que, pour de médiocres intérêts personnels, nous piétinons la dignité d’autrui ?
Cette dérive, au-delà de l’indifférence, alimente la propagande du régime, friand de divisions au sein de la diaspora. Le moment est venu de rompre le silence et de penser au sauvetage de nos compatriotes, en assumant notre responsabilité humaine.
Il est temps que la communauté iranienne, au-delà des divergences et des rumeurs, parle d’une seule voix pour sauver la vie de ces six jeunes. En tant qu’êtres humains et en tant qu’Iraniens, nous avons le devoir d’employer tous les moyens légaux disponibles pour empêcher l’exécution de ces sentences iniques. Sauver une vie, c’est incarner les valeurs humaines et éthiques qui doivent guider toute action.
Ne jouons plus le jeu de la République islamique : unis, faisons entendre la voix de la justice et de l’humanité. Mettre la neutralité de côté, quand une vie est en jeu, n’est pas un choix politique : c’est un impératif humain.
Ehsan Tarinia – Luxembourg
Rédigé le 19 novembre 2024